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La première fois que j'ai embrassé un garçon, c'était un anglais. J'étais partie a Londres avec un de ces voyages éducatifs qui éduquait surtout les petites françaises à savoir faire le mur la nuit, fumer le premier joint, s'empiffrer de gâteaux, se badigeonner les lèvres de rouge brillant et approcher de plus près le sexe opposé.
Il fallait donc à tout prix que j'embrasse, ça faisait parti du planning. Je serais sans doute revenue honteuse de ce périple si ma petite bouche rose fraîchement libérée d'un appareil de torture dentaire n'avait pose ses lèvres sur celles d'un pur British.

Dans la petite bande de Tracy, ma jolie correspondante, plusieurs me plaisaient, mais l'inverse n'était pas le cas. J'étais encore trop garçonne et maigrelette pour me payer le luxe de choisir. Et puis je n'avais pas du tout de seins, et c'était un critère de première importance.
A plusieurs reprises, j'avais pourtant essayé de rembourrer un pauvre soutien-gorge 85 B ( je ne faisais que du 70 A) - avec du coton et du scotch. Mais j'avais du y renoncer le jour où, dansant un rock effréné avec un jeune éphèbe pour lequel je mourais d'amour, les cotons s'étaient échappés à mon insu. Ils avaient giclé dans tous les sens, sous les yeux ébahis de mes petits camarades qui doivent encore aujourd'hui en parler à leurs enfants avec émotion tant ils s'étaient moqués de moi.
Donc, en Angleterre, dans la bande de Tracy, je ne pouvais qu'espérer le regard d'un garçon sans prétendre être à l'initiative de quoi que ce soit.

Andy m'a regardée. De très près. Et moi aussi du coup. J'ai détaillé avec effroi ses cheveux teints en rose fuchsia qui poussaient grâce au gel a la verticale, le khôl noir sous ses yeux couleurs rien, et les nombreux anneaux qui couvraient toute la partie visible de ses oreilles.
Un d'entre eux n'ayant pas trouvé de place s'était rabattu sur l'aile gauche du nez, ce qui me fascinait.
En 79, je n'avais encore jamais vu de piercing. Je fixais attentivement le nez étrange d'Andy alors qu'il n'espérait que ma bouche.
Il me fallait capituler : tout, même embrasser un balai brosse percé plutôt que revenir bredouille d'un tel voyage. Je l'embrassais donc.
Mais comment ?
"Give me a french kiss" m'a susurré Andy qui avait déjà ses deux mains pleines de bagues à tête de mort sur mes cuisses, la seule chose consistante qu'il pouvait attraper chez moi.
A french kiss ? Mais qu'est ce que c'était que ça un french kiss?
Fallait-il parler français en embrassant ?
Fallait-il mettre les mains ?
Fallait-il rentrer les dents, les sortir, mordre peut-être ?
Que fallait-il regarder ?
Fallait-il fermer les yeux, les faire cligner, pousser des soupirs, hurler ? Et la langue ? Que faire avec cette langue ?
J'avais déjà vu des baisers a la télé, je savais où ils la mettaient, mais pas comment.
Fallait-il la tirer le plus loin possible hors de sa bouche et attendre qu'une autre langue vienne la toucher ?
Fallait-il la mettre en pointe, la faire tournoyer, la remuer lentement, ou bien très vite de haut en bas ou de gauche a droite ou tout en même temps ?
Et n'allais je pas baver comme un Pitbull, comment ferais-je pour inspirer, expirer ?
Est-ce que ca faisait mal ?
N'était-ce pas absolument répugnant ?
Et lui, si il allait mettre la sienne jusqu'au fond de mon gosier, n'allais-je pas étouffer ou tout simplement vomir ?
Et si j'allais découvrir un de ses anneaux qui traversait aussi sa langue, n'allais je pas m'évanouir d'horreur ?
"A french kiss, please", a-t-il insisté.

Puis je n'ai plus eu le temps de réfléchir à quoi que ce soit. Une énorme langue blanche s'est échappée de sa bouche et est venue se coller directement dans la mienne. Je suis restée figée.
J'avais l'impression qu'en même temps, un pack de bière chaude s'était introduit dans ma bouche car Andy n'était déjà plus très clair.
Il poussait des râles d'autant plus incroyables qu'ils étaient en anglais, ses narines étaient dilatées, et je voyais au dessus de mon nez s'agiter son épaisse crinière fluo.
J'étais collée contre la fine cloison de la caravane - celle d'un ami d'Andy qui lui avait prêtée - et je cherchais du regard par où m'échapper.
Ma langue ne faisait rien, elle s'était réfugiée contre mon palais et priait pour ressortir intacte de l'assaut Puis sa bouche s'est retirée en faisant un bruit de ventouse et il s'est arrêté une seconde pour s'enfiler une gorgée de bière.
J'ai saisi l'occasion pour le repousser et me lever d'un bond. Andy a eu l'air surpris, puis il s’est inquiété en essuyant la bière sur ses grosses lèvres d'un revers de manche.

"- Hey, was it a french kiss ?
- Yes, yes, it was a french kiss but excuse me, I don't feel well"
J'ai péniblement imité un sourire et je suis partie en courant prendre l'air.
J'ai entendu une dernière fois la voix d'Andy grommeler :
"- Shit! Fuck you ! You dirty french bitch!" et d'autres trucs que je ne comprenais pas et que je ne préférais pas comprendre.
J'ai filé sans m'arrêter pendant 10 bonnes minutes dans les rue désertes de Londres. I1 était minuit, je devais rentrer a pied chez ma correspondante qui habitait a l'autre bout de la ville. J'avais froid et très envie de rendre mon "apple pie" et ma "gelly" sur le trottoir.
Mais j'avais embrassé un garçon et même si cela avait hérissé la plupart de mes poils et rendu mes intestins hostiles à toute nourriture jusqu'à la fin du séjour, eh bien j'étais fière.
Je me sentais une vraie femme. Je ne voulais plus laisser qui que ce soit dire que j'étais un garçon.
Et je souhaitais raconter mon histoire à toutes mes amies à mon retour. Alors pour elles, Andy s'est transformé en grand jeune homme blond aux yeux bleus, avec quelques adorables taches de rousseur sur le nez (sans anneaux, of course).

Il m'avait entraînée dans la grande maison que ses parents avaient déserté pour la soirée, au bord de la mer. Nous avions bu du champagne, il m'avait beaucoup fait rire car je comprenais déjà très bien toutes les subtilités de la langue anglaise, et surtout cet humour si surprenant.
Puis il m'avait allongé sur le canapé de cuir sombre, et en penchant la tête comme pour supplier, m'avait demandé avec la voix la plus douce du monde:
" Give me a french kiss, my love". Sans hésiter, j'avais saisi sa tête entre mes mains, je l'avais regardé droit dans les yeux, et avais planté dans sa bouche ma petite langue frémissante qui l'avait emmené au bord de l'extase en quelques secondes.
Puis j'avais dit, triomphante :
"Voilà ! THIS, is a french kiss !"
Et lui, les yeux pleins de reconnaissance et tout humides émotion, il m'avait alors implorée de rester près de lui pour la nuit, et j'avais répondu en minaudant :
"Sorry, darling! French women never make love the first night.

Les françaises ne couchent jamais le premier soir..."

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