Côté mômes

Les rubriques de Sophie Forte dans le magazine Côté mômes

Chaque mois, Sophie Forte écrit une rubrique sur la famille pour le journal Côté mômes.



Le dernier jour d´école
Le temps de la détente
Au secours... de ski
Avant Jésus Christ
Ah! La grippe!
La cuisine grecque
L´accouchement sans douleur
Mère agitée
Tête à poux
Emilie jolie
Et toi, tu crèches où ?
Fête des mères


Haloween
J´arrive!!!
Joyeux anniversaire
Joyeux anniversaire (suite et fin)
TGV : Très Grave Voyage
Le bac d´abord
Les œufs brouillés
Les soirées de l´ambassadrice
Quel cirque
Singe et compagnie
Sœurs surdouées

Le dernier jour d’école

C’était une petite école maternelle du quatrième arrondissement à Paris. Une vieille maman qui avait porté dans son ventre des générations d’enfants depuis plus de cent ans. Elle s’était nourrie de rires, de cris, de bagarres et de premiers bisous maladroits. Elle s’était étourdie de comptines, petit escargot, pirouette cacahuète, avait veillé des nuits entières sur les doudous oubliés et avait vu défiler avec tendresse des armées de genoux écorchés. Elle savait se faire rassurante, avec ses jolies classes baignées de lumière, quand retentissaient aux premières rentrées de septembre les pleurs dans le préau, câlins qui n’en finissent pas, mamans bouleversées qui promettent : Mon amour, mon bébé, n’ait pas peur, je reviens vite…
Et elle a, elle aussi, versé des larmes quand, il n’y a pas si longtemps, on lui a arraché les petits enfants juifs qu’elle n’a pas pu protéger de la folie des grands.
Elle était encore très belle, avec ses trois classes aux plafonds hauts, ses parquets de chêne chantant sous les petits pas, son grand escalier qui tournait, et ses beaux marronniers qui venaient caresser les fenêtres du deuxième étage, quand il y avait de vent…
Un matin gris de février, on a remis une lettre aux parents : « Fermeture définitive de l’école François Miron. » La plupart d’entre nous sommes restés là, atterrés devant cette décision absurde : « Il n’y a pas assez d’élèves… ».
Mais justement, ils étaient heureux, nos poussins, de ne pas êtres entassés à trente dans le même poulailler. Vingt-quatre, c’était parfait !
Nous avons tenté de discuter, fait venir quelques journalistes, dit gentiment : « On n’est pas d’accord ! » Mais, nous le savions d’avance, jamais ces paroles n’ont empêché des décideurs de mener à bien un sinistre projet.
Nous n’avons pas pu sauver la vieille maman. Qu’aurions-nous du faire ?
Attacher le maire à un arbre dans la cour et tourner autour en poussant des cris de sioux avant de le scalper? L’étouffer avec de la pâte à modeler ? L’étrangler avec des lacets de Kickers ?
Mais « les grands » ne jouaient pas, pirouette, cacahuète ! C’était pour de vrai. Plus jamais l’odeur de chatons mouillés et de craie dans les couloirs, plus de petits manteaux accrochés avec les noms au-dessus, plus de w-c, de maisons de poupées…
Un jour, ma fille Nina m’a dit : « Tu sais maman, on a fait un potager dans la cour et il va y avoir des tomates. On s’en occupe tellement bien que ça va devenir des tomates énormes ». Les tomates ne grandiront plus, car les enfants iront grandir ailleurs. Les maîtresses seront recasées dans d’autres écoles du quartier.
Et la gardienne ? Elle ne bougeait pas, assise sur sa chaise devant la porte de la loge, avec l’air d’être déjà partie. Elle m’a dit doucement : « Ca fait trente ans que je suis là. Ils ont dit qu’ils allaient me reloger. Je ne sais pas où. Pas dans une autre école, je suis tops âgée… »
Tous ces petits qu’elle a vu passer, qu’en restera-il dans ses souvenirs ? Un mélange d’yeux rieurs, de cheveux ébouriffés, de nez qui coulent et de sourires édentés, pour ne plus faire qu’un seul visage, si familier...
Le deux Juillet, à seize heures vingt, comme tous les jours, les portes de l’école se sont ouvertes, libérant une nuée de petits oiseaux comme échappés d’une volière. Ils étaient heureux et légers en ce début de grandes vacances, pour ce dernier jour d’école.
Seuls les adultes sont capables de nostalgie, l’enfant va de l’avant, vers de nouveaux copains, de nouveaux jeux, de nouveaux rires.
Il n’y aura plus jamais la vie à l’intérieur de la vieille maman. Des bouts de vie d’adultes, sans doute, mais pas la vie vive, la vie pure de l’enfance.
Ensuite on décrochera les tableaux noirs, on videra les étagères, les livres d’images, les crayons de couleur, une dernière tétine laissée dans un coin.
Et il y aura le silence…
Un jour, peut-être, Nina passera devant la vieille maman avec ses enfants. Elle leur dira : « Regardez, c’était ma première école. »
Et ils riront sûrement en imaginant leur mère en petite fille derrière la grosse porte en bois. Et puis ils oublieront…

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Chou Fleur

Du 12/10/2013 au 04/01/2014
Théâtre Rive Gauche
Victorie music
planete enfants